quinta-feira, 24 de novembro de 2016



        " Question Sociale " (1)

Ô détresses du faible! ô naufrage insondable!
Un jour j'ai vu passer un enfant formidable,
Une fille; elle avait cinq ans; elle marchait
Au hasard, elle était dans l'âge du hochet,
Du bonbon, des baisers, et n'avait pas de joie;
Elle avait l'air stupide et profond de la proie
Sous la griffe, et d'Atlas que le monde étouffait,
Et semblait dire à Dieu: Qu'est-ce que je t'ai fait?
Dieu. Non. Elle ignorait ce mot. Le penseur creuse,
L'enfant souffre. Elle était en haillons, pâle, affreuse,
Jolie, et destinée aux sinistres attraits;
Elle allait au milieu de nous, passants distraits,
Toute petite avec un grand regard farouche.
Le pli d'angoisse était aux deux coins de sa bouche;
Tout son être exprimait Rien, l'absence d'appui,
La faim, la soif, l'horreur, l'ombre, et l'immense ennui.
Quoi! l'éternel malheur pèse sur l'éphémère!

On entendait quelqu'un rire, c'était sa mère;
Cette femme, une fille au fond d'un cabaret,
N'avait pas même l'air de savoir qu'ont errait
Dehors, là, dans la rue, en grelottant, sans gîte,
Sous le givre et la pluie, et qu'on était petite,
Et que ce pauvre enfant tragique était le sien.
Cette mère, pas plus qu'on ne remarque un chien,
N'apercevait cet être et sa sombre guenille.
Sorte de rose infâme ignorant sa chenille.

Elle-même jadis été cela.

Maintenant, Margoton changée en Paméla, (2)
Elle offrait aux passants des faveurs mal venues,
Chantante; elles étaient toutes deux demi-nues,
L'une pour les affronts, l'autre pour les douleurs;
La mère, gaie, avait au front d'horribles fleurs;
Il arrivait parfois, vers le soir, à la brune,
Que la mère et l'enfant se rencontraient, et l'une
Regardait son passé, l'autre son avenir.

Voir l'une commencer et voir l'autre finir!
Ô misère!

          L'enfant se taisait, grave, amère.
Cette femme, après tout, était-elle sa mère?
Oui. Non. Ceux qui mêlaient autour d'elles leurs pas
En parlaient au hasard et ne le savaient pas.
L'infortune est de l'ombre, et peut-être cet ange
N'avait-il même pas une mère de fange,
Hélas! et l'humble enfant, seul sous le firmament,
Marchait terrible avec un air d'ètonnement,
Elle ne paraissait ni vivante ni morte.
- Mais qu'a donc cet enfant à songer de la sorte?
Disait-on autour d'elle. - Est-ce qu'on la connait?
Non. Les gens lui donnaient du pain qu'elle prenait
Sans rien dire; elle allait devant elle, indignée.
Pour moi, rêveur, sa main tenait une pognée
D'invisibles éclairs montant de bas en haut;
Ses yeux, comme on regarde un plafond de cachot,
Regardaient le grand ciel où l'aube ne sait naitre
Que pour s'éteindre, et tout l'ensemble de cet être
Était on ne sait quoi d'âpre, de bégayant,
Et d'obscur, d'où sortait un reproche effrayant; (3)
La ville avec ses tours, ses temples et ses bouges,
Devant son front hagard et ses prunelles rouges
S'étalait, vision inutile, et jamais
Elle n'avait daignè remarquer ces sommets
Qu'on nomme Panthéon, Étoile, Notre-Dame;
On eût dit que sur terre elle n'avait plus d'âme,
Qu'elle ignorait nos voix, qu'elle était de la nuit
Ayant la forme humaine et marchant dans ce bruit;
Et rien n'était plus noir que ce petit fantôme.

La quantité d'enfer qui tient dans un atome
Étonne le penseur, et je considérais
Cette larve, pareille aux lueurs des forêts,
Blême. désespérée avant même de vivre,
Qui, sans pleurs et sans cris, d'ombre et de terreur ivre,
Rêvait et s'en allait, les pieds dans le ruisseau,
Némésis de cinq ans, Méduse du berceau. (4)


 Hugo, Victor. Oeuvres Poétiques, Antologie. Paris: Le Livre de Poche, 2002, pp 382 - 385.


(1) Poema do livro "La Légende des Siècles, Nouvelle Série" (1877);
(2) A mãe toma como "nome de guerra" o nome da heroína do célebre romance  sentimental de Richardson;
(3) A culpa e o medo são os sentimentos que se prendem à visão des misérables após a Comuna de Paris;
(4) A Medusa é uma das três Górgonas da Mitologia Grega, enquanto Nemésis é a deusa da vingança, mas não no sentido das Erínias ou Fúrias ou Benevolentes, que executam uma vingança cega; Nemésis apenas pune os mortais orgulhosos que tendo recebido demasiados dons se envaidessem com eles.
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quarta-feira, 16 de novembro de 2016



(1)
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai  (2) par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, (3)
Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe (4)
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

                                                  3 septembre 1847.


  Hugo, Victor. Oeuvres Poétiques, Anthologie. Paris, Le Livre de Poche, 2002, p 220.

(1) Poema sem título pertencente ao livro "Les Contemplations" (1856);
(2) Esta peregrinação acaba por se transformar numa viagem metafísica;
(3) Harfleur, cidade próxima de Villequier, local onde vivia - com o marido - a sua filha preferida, Léopoldine;
(4) A morte súbita de Lèopoldine Hugo marcaria profundamente o escritor.
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domingo, 13 de novembro de 2016


(...)
Alors, oh! je maudis, dans leur cour, dans leur antre, (1)
Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu'au ventre!
Je sens que le poète est leur juge! je sens
Que la muse indignée, (2) avec ses poings puissants,
Peut, comme au pilori, les lier sur leur trône
Et leur faire un carcan de leur lâche couronne,
Et renvoyer ces rois, qu'on aurait pu bénir,
Marqués au front d'un vers que lira l'avenir!
Oh! la muse se doit aux peuples sans défense.
J'oublie alors l'amour, la famille, l'enfance,
Et les molles chansons, et le loisir serein,
Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain!


  Hugo, Victor. Oeuvres Poétiques, Antologie. Paris: Le Livre de Poche, 2002, p 103.
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(1) Final do poema "Amis, un dernier mot..." do livro "Les Feuilles d'Automne";
(2) Lembrando o verso de Juvenal: "Facit indignatio versum" (Sátiras, I, 79) e anunciando o verso de "Châtiments": "Muse indignation, viens!" ("Nox").
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