Tous ces noms, ce passé chaque jour plus profond, toutes ces gloires enfiévraient ma rêverie. Marcel complétait ainsi sa leçon du premier soir de retour à Port-Vendrtes. Mon univers se peuplait de dieux, de légions couronnées, de pirastes, arabes, d'impératrices malheureuses. Mais je ne savais pas encore comment fonctionnait le télégraphe ou le phare à miroirs. Poutant, c'était au phare peint en rouge que je venais souvent retrouver Marcel. Il y avait été retenu par son travail et je frappais sans aucune timidité à la porte de la maison du gardien. L'ingénieur y avait un lit de camp dressé dans la salle commune. Quand j'arrivais, Marcel était penché sur la table de bois blanc et couvrait un cahier de petites lignes. (...) J'appris ainsi à lire peu à peu la bonté, la prévenance, l'affection, sans le secours de la parole ou les expressions d'un visage dont les traits demeuraient immobiles. Quand Marcel avait terminé son rapport et moi mon dessert, nous sortions tous les deux et nous visitions les criques minuscules qui sont autant de plages secrètes et parfaites avant l'arrivée à Banyuls. (...) Cependant, j'átais assis au bord de la table, le visage appuyé à mes deux mains. J'avais appris du gardien de phare et de tous les gens de ce pays le contrôle de mes nerfs. Mais ce n'átait pas comme eux, la bonté, la gentillesse, que je masquais à mon tour. Sous le regard d'un enfant sage et charmé, je dérobais à mon ami, échauffé par sa lecture, ma méfiance, un léger mépris, les pires sentiments de mon coeur.
Fraigneau, André. La grace humaine. Monaco: Editions du Rocher, s/d., pp. 86 - 89.
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