quarta-feira, 25 de abril de 2018


(...) si le déprimé se dérobe au langage, s'il considère le langage comme banal ou faux, comment pourrons-nous entrer en contact avec sa douleur par la parole (puisque c'est avec  la parole qu'opère le psychanalyste)? J'insiste alors sur l'importance de la voix, ou d'autres signes, différents du langage quoique toujours transmis par le langage, qui peuvent devenir notre médiation vers le déprimé. Enfin, il me semble important de montrer aussi combien cet endolori souvent muet qu'est le déprimé est un affectif secret, un passionné sournois ou incompris. La mélancolie serait, en somme, une perversion innommable, blanche. A nous de la conduire aux mots... et à la vie.
(...) le monde moderne - bouleversé, chaotique, saturé de violence et de criminalité - nous le présente quotidiennement. (...) La culture apparaît donc comme un bien précieux, mais combien fugace. Le mélancolique qui refuse la vie parce qu'il a perdu le sens de la vie nous oblige alors à chercher les moyens pour retrouver le sens: entre nous, pour lui, mais aussi pour une civilisation tout entière.Le premier mélancolique grec, Bellérophon, apparaît dans l'Iliade: désespéré, il se consume de tristesse et, abandonné des dieux, ne cesse d'errer en évitant les hommes. Hippocrate, dans sa théorie des humeurs, attribue la mélancolie à la bile noire. Le texte le plus important de l'Antiquité grecque sur le sujet me paraît étre Probleme 30, 1 du pseudo Aristote.
   Il extrait la mélancolie de la pathologie et la voit plutôt comme un état limite de la nature humaine, comme une crise "naturelle" si on veut, révélatrice par conséquent de la vérité de l'être. Le mélancolique serait donc l'homme de génie. Cette conception fascine les philosophes modernes, bien entendu. (...) La dépression est, en somme, au seuil de la créativité. Mais une dépression nommée et, par là même, traversée. (...) En Europe, aux XV et XVI siècles, apparaissent, par exemple chez les poètes, la Dame Mélancolie, et, chez les protestants, une recrudescence du thème mélancolique.(...) La France semble échapper au mal de l'Europe. Je considère en fait que, d'une façon générale, la culture française, au cours de son développement historique, a dépassé, ou peut-être simplement recouvert, le mouvement mélancolique par l'érotisme et par la rhétorique, Grâce à Sade et grâce à Bossuet.
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Kristeva, Julia. Les Abîmes De L'Âme, In magazine littéraire, Octobre - Novembre 2005, Nº 8, pp 26-28.
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