"Réponds-moi", lui ai-je dit. Elle a lancé un nuage de fumée.
- Tu me poses une question difficile, je vais te faire une réponse difficile: fais tes bagages et pars.
- Partir, partir où? En quelque lieu étranger où je ne le verrai jamais? Non, je ne veux pas; alors, tout le monde, pas seulement les domestiques, se moquerait de moi.
C'est pas de toi qu'on se moquerait, si tu partais; c'est de lui.
- Je ne veux pas faire cela.
- Pourquoi me demandes-tu, si quand je te réponds, tu dis non? Pourquoi es-tu venue jusqu'íci, si quand je te dis la vérité, tu dis non?
- Mais il doit y avoir quelque chose d'autre que je puisse faire.
Elle s'est rembrunie.
- Quand un homme t'aime pas, plus tu cours après, plus il te déteste, l'homme est comme ça. Si tu les aimes, ils te traitent mal; si tu les aimes pas, ils sont après toi nuit et jour à te bassiner avec leur amour. J'ai entendu parler de toi et de ton mari, a-t-elle ajouté.
- Mais je ne peux pas partir. C'est mon mari après tout.
Elle a craché par-dessus son épaule.
- Toutes les femmes, de toutes couleurs, c'est rien que des imbéciles. Trois enfants, moi, j'ai eu. Un en vie ici-bas, chacun d'un père différent, mais pas de mari. Dieu merci! Moi, je garde mon argent. Je le donne pas à chacun vaurien d'homme,
- Quand dois-je partir? Où dois-je aller?
- Mais c'est un monde! Une jeune Blanche riche comme t'es et plus sotte que toutes les autres! Un homme te traite pas bien, relève ta jupe et sors. Fais-le et il te court après.
Rhys, Jean. La prisonnière des sargasses. Paris: Éditions Gallimard, 1971, pp 134-135 ( Traduit de l'anglais par Yvonne Davet).
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